Conférence d’Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE, correspondant de l’Académie (lundi 20 février 2017)

Rétablir la confiance : replacer l’éthique au cœur de l’économie

C’est un honneur pour moi d’être élu « correspondant » de l’Académie des sciences morales et politiques. Créée il y a plus de 220 ans, cette institution perpétue la rigueur intellectuelle d’une grande époque porteuse de progrès: les Lumières. Vous rassemblez quelques-uns des esprits les plus novateurs de l’ensemble des sciences sociales. Je succède à M. Boutros-Boutros Ghali, sixième Secrétaire Général des Nations Unies, et un grand artisan de la paix. Je suis fier de suivre ses traces et d’être associé à votre institution.

J’espère que cette distinction sera le nouveau trait d’union qui renforcera la coopération entre l’Académie et l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE). Plus que jamais il importe de resserrer cette coopération afin de promouvoir et d’actualiser les valeurs sur lesquelles sont fondées nos nations. Plus que jamais, nous devons œuvrer ensemble à la défense des principes d’intégrité, de liberté d’expression, de dialogue éclairé, de tolérance multiculturelle et de coopération internationale. C’est impératif !

Les temps sont difficiles

L’heure est grave. Nos pays sont toujours confrontés aux conséquences de la pire crise économique que nous ayons connue.

Huit ans après l’éclatement de la crise, la croissance annuelle mondiale reste hésitante autour de 3 %. La faiblesse des échanges et de l’investissement continue de peser sur la consommation, freinant l’augmentation de la productivité et des salaires. Les taux de chômage demeurent inacceptables. Dans les pays de l’OCDE, 38.5 millions de personnes sont sans emploi, soit près de 6 millions de plus qu’avant la crise. Le plus préoccupant, c’est que c’est notre jeunesse qui paie le plus lourd tribut. En France, le chômage des jeunes atteint 25 %, pratiquement le double de la moyenne OCDE, qui se situe à 13 %[i]. En Italie, c’est presque 40% et en Grèce et en Espagne, ce sont près de la moitié des jeunes (44 % et 44.5%)[ii].

Ce contexte difficile est encore aggravé par le creusement des inégalités. Selon notre analyse, dans les pays de l’OCDE, les 10 % les plus riches gagnent aujourd’hui environ dix fois plus que les 10 % les plus pauvres, contre sept fois plus il y a 30 ans[iii]. Dans certaines économies émergentes, l’écart est encore plus important, près de vingt fois plus au Mexique et au Chili[iv], et 28 fois plus au Brésil. Selon une récente étude du Crédit Suisse, 1 % de la population possède 50 % de la richesse mondiale, tandis que l’actualité est émaillée de scandales de corruption impliquant de hauts responsables des secteurs privé et public.

Voilà autant de facteurs qui minent gravement la confiance. Dans les pays de l’OCDE, seuls quatre citoyens sur dix font confiance à leur gouvernement[v]. En France, le niveau se situe même plus bas, vers les 30 %, alors qu’il était proche de 40 % en 2007[vi].

Cette crise de confiance constitue un terreau propice au rejet de la mondialisation, à la résurgence du protectionnisme, du populisme et de ce que Paul Collier a appelé « le nationalisme exclusif ». Ainsi, seule la moitié de la population française (51 %) estime que l’insertion de la France dans l’économie mondiale ouvre de nouveaux marchés et fournit des opportunités de croissance. Moins d’un quart des Français (24 %) estiment que le commerce crée des emplois[vii]. Ces craintes, réelles, pourraient exercer une influence déterminante sur l’issue du scrutin présidentiel d’avril prochain.

Nombreux sont ceux qui assimilent les systèmes économiques, l’économie de marché, les accords de libre-échange, les unions monétaires et la libéralisation des marchés de capitaux à des créations de technocrates. Ils estiment que ces mécanismes, cette dynamique que nous appelons mondialisation, profitent pour l’essentiel à quelques privilégiés. Ce qu’ils appellent « la clique de Davos ». De plus en plus, le public pense que le système a été détourné par quelques privilégiés à leur profit.

Il nous faut répondre à ces inquiétudes ! Nous devons inverser cette tendance !

 Nous devons rétablir la confiance

Il nous faut rétablir la confiance ! Et commencer par reconnaître que nombre de nos concitoyens n’ont pas bénéficié de certaines des politiques et systèmes économiques que nous avons mis en place. Nous devons admettre qu’un grand nombre de travailleurs n’ont pas vu augmenter leur revenu réel pendant plus d’une vingtaine d’années. Nous devons prendre conscience que dans l’économie numérique du XXIe siècle, les plus vulnérables n’ont souvent pas accès aux formations, aux technologies et aux opportunités qui leur permettraient de prospérer.

Il est temps de rétablir la confiance en plaçant l’humain et l’éthique au cœur de notre conception de l’économie. Le moment est venu de repenser nos cadres, théories et modèles économiques. De recentrer nos réformes et nos politiques, nos systèmes fiscaux et nos cadres de réglementation sur la redistribution des revenus et de la richesse, mais aussi sur les opportunités et les compétences. Le moment est venu de corriger les défauts de la mondialisation pour qu’elle profite à tous pleinement.

Consciente de la nécessité du changement, l’OCDE mène des travaux sur de multiples fronts :

  • Nous travaillons à définir, promouvoir et mesurer une nouvelle logique de croissance. La « croissance inclusive » dépasse la notion de PIB pour accorder une place centrale au bien-être et aux opportunités. C’est pourquoi nous réexaminons nos modèles et théories économiques dans le cadre de notre initiative sur les Nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC), lancée en 2012. Nous avons par exemple élaboré un cadre d’analyse de la qualité de l’emploi et un Indicateur multidimensionnel du niveau de vie (MDLS), qui reservent une place plus importante à la qualité des emplois et de la croissance.
  • Nous portons un regard neuf sur les relations entre le creusement des inégalités et le ralentissement des gains de productivité, qui freinent la progression des salaires et contribuent à miner la confiance. Le projet sur l’articulation productivité-inclusivité, que nous avons lancé lors de notre Réunion ministérielle de juin 2016, a pour but d’expliquer comment les pays peuvent accroître les actifs productifs de leur économie en réduisant les inégalités, en investissant dans les compétences et en favorisant l’équité des règles du jeu des entreprises.
  • La reconversion professionnelle revêt aussi une très grande importance. C’est pourquoi nous travaillons avec les gouvernements à élaborer des stratégies nationales de compétences, qui ont pour but de mettre en adéquation les systèmes éducatifs avec les besoins de l’économie du savoir du XXIe siècle. Nous lançons également un nouveau projet horizontal qui etudiera comment les politiques sociales, en particulier les politiques d’éducation et de formation, mais aussi une meilleure intégration des immigrés et des filets de sécurité sociale plus efficaces, peuvent faire de la transformation numérique un moteur de la croissance inclusive.
  • Nous sommes en train de corriger les défauts du système multilatéral pour faire en sorte que tous les acteurs suivent les mêmes règles. Plus de 90 pays et juridictions se sont engagés à mettre en œuvre le Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS). Et des progrès tout aussi encourageants doivent être mentionnés en ce qui concerne la norme d’échange automatique de renseignements à des fins fiscales, que plus d’une centaine de pays se sont engagés à appliquer. Les autorités chiffrent déjà à près de 80 milliards d’euros les recettes fiscales supplémentaires découlant de déclarations volontaires.
  • L’OCDE coopère aussi étroitement avec le G7 et le G20, sur des enjeux qui sont liés de très près au rejet de la mondialisation. Ainsi, les dirigeants du G20 ont demandé à l’Organisation de mettre sur pied un Forum mondial sur les surcapacités sidérurgiques. L’OCDE s’est aussi associée au G20 pour produire une version révisée des Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE, qui énoncent des normes reconnues mondialement sur la transparence, la responsabilité et l’intégrité dans les affaires.
  • Nous nous employons à améliorer les normes et accords multilatéraux pour que la mondialisation soit plus équitable et inclusive. La Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption est le premier instrument international qui met l’accent sur l' »offre » de corruption. S’agissant de la conduite responsable des entreprises, les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales sont l’instrument le plus complet concernant l’éthique des entreprises. Seulement le mois dernier, le Conseil de l’OCDE a approuvé la Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique, qui donne aux pays un outil pour défendre et faire primer l’intérêt général sur les intérêts privés dans le secteur public. Nous progressons aussi rapidement dans nos travaux sur la protection des lanceurs d’alerte, et nos outils concernant la concurrence.
  • Enfin, l’enjeu n’est pas seulement de favoriser la confiance, mais également de la mesurer. Nous travaillons à l’élaboration d’un cadre statistique devant permettre aux offices statistiques nationaux de disposer de mesures effectives et comparables de la confiance. Nous mettons actuellement à l’essai les techniques les plus pointues empruntées à l’économie expérimentale pour mieux comprendre ces indicateurs et en isoler les déterminants.

Il est temps de placer l’humain, l’éthique et la redistribution au centre de notre réflexion et de notre action. C’est à cette seule condition que nous rétablirons la confiance. Il n’y a pas de mystère. Il s’agit d’imaginer, de développer et de mettre en œuvre des politiques, des réglementations et des institutions efficaces. L’OCDE est déterminée à aider les pays dans cette voie et nous ne doutons pas que l’Académie s’associera à nous dans cette démarche, guidée ainsi que mise en garde par ces paroles d’Albert Camus: “l’intégrité n’a pas besoin de règles« .

Notes

[i] Taux de chômage de la zone OCDE, février 2017, http://www.oecd.org/std/labour-stats/OECD-HUR-02-17.pdf

[ii] OCDE, Taux de chômage harmonisés, février 2017.

[iii] All on Board: Making Inclusive Growth Happen, 2014, p17.

[iv] OCDE, Panorama de la société 2016.

[v] OCDE (2015) Panorama des administrations publiques 2015.

[vi] Panorama des administrations publiques 2015, p. 163.

[vii] Pew Research Center Survey.

Cette conférence a été  organisée avec le soutien du Groupe Vinci

Vinci

Conférence d’Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE, correspondant de l’Académie (lundi 20 février 2017)

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